La Théorie des Six Maillons
Parfois, je me surprends à vouloir revenir dans notre région natale.
Pas pour arriver la queue entre les pattes mais pour faire un retour triomphant dans la micro-société du canton.
Il y est si simple d’y atteindre les personnes influentes.
Tout le monde se connait.
Les familles historiques du secteur, celles qui ont de l’argent, celles qui sont moins populaires, les plus modestes.
La vie m’y semble tellement plus facile.
J’ai appris récemment que le garçon qui me faisait craquer en maternelle cherchait quelqu’un.
Sa famille étant particulièrement aisée, il va au golf du coin pour rencontrer quelqu’un de sa stature.
Ça m’a fait rire.
Je ne suis pas particulièrement jolie. Je ne l’ai jamais été. Les traits de mon visage sont grossiers, mon nez est trop long et je n’ai même pas la chance d’avoir les yeux clairs pour rattraper le tout.
Je le suis encore moins depuis quelques années avec le poids accumulé mais, adolescente, j’étais si confiante et assurée que la plupart des garçons fantasmaient dangereusement sur moi. Je les éconduisais sans ménagement, concentrée à quitter le coin le plus vite possible.
À l’époque (et j’imagine que c’est encore le cas, je devrais demander à ma soeur), les jolies filles ne cherchaient qu’à épouser les fils les plus riches de la région.
Ma mère est partie après son bac comme je l’ai fait.
Le monde est si petit qu’elle a travaillé exactement là où Josh travaille désormais...40 ans plus tard.
Elle a fait le choix de revenir. Mes parents se sont rencontrés au bal du village.
C’est si...cliché. On dirait une série teenage américaine.
Puis, je me souviens pourquoi j’ai décidé de partir.
Marre des ragots, de croiser toujours les mêmes visages, de réaliser que, même lorsqu’on fait de nouvelles rencontres, nous avons malgré tout des connaissances communes.
Nous ne sommes finalement qu’à six maillons de n’importe qui dans le monde.
L’arrivée dans la capitale m’a offert l’anonymat et la culture dans un monde où l’Internet n’était pas encore si développé. Je levais les yeux au ciel quand j’entendais ces gamins de riches me sortir qu’ils se fichaient de leurs études car leur avenir était tout tracé. Ils reprendraient l’affaire familiale. Tout ce que je voulais à 16 ans, c’était découvrir Paris, parcourir les musées, admirer l’architecture, voir le monde, apprendre. J’avais une curiosité sans limite et une soif de savoir.
Naturellement, rien ne s’est vraiment passé comme je l’avais imaginé.
Jamais je n’aurais pensé me mettre en couple avec quelqu’un de la région !
Pourtant, Josh est rentré dans ma vie, pour de vrai cette fois, 9 ans après notre première rencontre au lycée.